La sixième journée

Matin Midi Soir

2 janvier 1996

-15 degrés Celsius maximum
Ski de 9h00 à 11h00. 1h00 de pause.
5 Km parcourus


Le départ

Travail à la chaîne pour remplir les bouteilles d'eau
Julie gèlera toute la nuit et ne se rendra compte que le lendemain qu'elle a dormi juste à côté d'un gros trou dans le mur par lequel se faufillait un vent glacial. Nous quittons tôt et avec plaisir le garage Maltais afin d'arriver à temps pour le rendez-vous avec Eudore, fixé à 11H00 sur une intersection avec un chemin forestier à 5 kilomètres de là. Plus que quelques kilomètres et ce sera la fin pour moi, Elyse, Luc et Jacintha. Plus que quelques kilomètres de souffrance dans mes bottes trop neuves... Il faut néanmoins nous diriger tout d'abord vers le point d'eau afin de refaire le plein comme s'il s'agissait d'une journée ordinaire. Il fait -20 Celsius et celui-ci est presque entièrement gelé, seul un mince filet d'eau vive reste accessible. Afin d'accélérer le travail et de ne pas rester immobile nous formons d'instinct une chaîne humaine où tous y trouve sa tâche; Remplisseurs, fermeurs de couvercles, transporteurs de bouteilles et empaqueteurs. Les 20 litres d'eau sont ainsi puisés et filtrés en moins de 15 minutes et nous pouvons enfin nous réchauffer un peu en skiant.

La piste emprunte la seule route de la région encore ouverte pour l'hiver
Deux choix s'offre de nouveaux à notre équipe et comme deux jours auparavant, nous choisissont la voix facile mais plus longue qui longe la route dans l'espoir de voir celle-ci dégagée ou au moins tracée par des motoneiges. Personne ne vote pour l'autre chemin qui, étroit, monte en serpentant dans la montagne et qu'il faudra ouvrir dans un mètre de neige. Ce sera un bon choix car nous atteignons rapidement le chemin de motoneige, large et composé de neige compactée. Nous skions groupés de manière à nous protéger du vent et en profitons pour parler un peu. Ca change du parcours en file indienne où on ne voit que le dos de son prédécesseur toute la journée!! Il est 10H45 lorsque nous atteignons le point de rendez-vous. Personne. J'enlève mon sac-à-dos, décroche les skis. La fin serait-t'elle si près? A 11H05 un grondement sourd se fait entendre et un camion tout-terrain s'arrête devant nous. Wow!! Ca c'est du timing! Maintenant je commence à réaliser le fait que, oui vraiment, je quitte la Traversée et laisse mes compagnons continuer seuls. Ca fait tout drôle en dedans car nous avons passé ensemble à travers tant d'épreuves. On se sent un peu lâcheurs (même si c'était planifié d'avance car nous travaillons tous le 3 janvier), Elyse essuie même quelques larmes, mais quant à moi, mes pieds me font tellement souffrir que je suis heureux de ne plus avoir à skier. On se quitte rapidement pour ne pas que ceux qui continuent gèlent trop. Ils ont devant eux près de 35 kilomètres de sentiers à ouvrir... Et il ne sont plus que trois! Dans le camion qui nous ramène vers la civilisation (2 heures de chemin enneigé), Elyse, Luc, Jacintha et moi-même ne pensons en silence qu'à une chose; un jour c'est certain nous reviendrons la finir cette maudite Traversée!!!


Après notre départ...

Basé sur un texte écrit par Denis Lizotte:
On est parfois heureux de voir des motoneiges.
Surtout quand celles-ci vous ouvrent le chemin!! (Denis)
Ce jour là Blaise, Denis, Eric et Julie continuent. Ils ont à peine commencé d'ouvrir le sentier qu'une motoneige les croisent et leur trace un beau sillon, leur évitant ainsi d'ouvrir sur plus de 13 kilomètres. Le trajet est facile et ils atteignent rapidement le camp Castor, où ils passeront une nuit encore pire que celle du Maltais car on voit le jour entre la porte et son cadre. La température chute constament (jusqu'à -25 Celsius) et afin de maintenir un maigre +5 Celsius à l'intérieur ils devront calfeutrer la porte avec tous ce qu'ils trouvent sous la main; des bouts de journaux au "tape" à tapis. Après une nuit très froide, les derniers 12 kilomètres se font rapidement d'autant plus que le terrain est plat et qu'une bonne partie est situé dans le territoire entretenu et balisé par le centre de ski du mont Grand-Fond. C'est le 3 janvier 1996 à 13H00 qu'ils arriveront à la fin de la Traversée, sous les regards distraits des autres skieurs. Félicitation!!! Blaise, Denis, Eric et Julie seront les premières (et rares) personnes qui réussiront à terminer la Traversée cet hiver là.



© 1996 Benoit Girard. Toute reproduction interdite sans consentement écrit de l'auteur