La deuxième journée

Matin Midi Soir

28 décembre 1995

-5 degrés Celsius maximum
Ski de 9h00 à 21h00, 2H00 de pause
20 Km parcourus


La grosse crisse de journée écoeurante... (® Denis Lizotte)

Eric, l'auteur et Elyse devant le chalet de l'écureuil
Nous partons vers 9h00 vers ce qui sera pour moi (Et pour tous mes co-équipiers) la journée la plus difficile, tant physiquement que moralement, de toute les expéditions de plein-air auquels nous avons participés. Tout avait pourtant débuté dans l'allégresse. Une température très agréable pour ce temps-ci de l'année, un ciel sans nuage et des paysages à couper le souffle. En partant du camp Jean-Pierre Cadot la piste longe le lac à l'Ecluse et s'enfonce tranquillement entre de petites montagnes, suivant le ruisseau aux mouches (Hmmm... Ca doit pas être drôle ici au mois de juin...) Nous atteignons rapidement le chalet de l'écureuil qui, entouré de montagne et surplombé par une superbe falaise, trône dans une forêt clairsemée de résineux. Un site réellement exceptionel qui va sûrement faire partie d'une de nos prochaine visite dans la région! A partir de là la piste bifurque vers le nord. Nous nous suivons à la queue leue-leue sur un tracé très sinueux qui se faufile dans un terrain chaotique à travers les épinettes. Les petites descentes et montées, avec leurs lots de chutes, nous ralentissent quelque peu cependant. Heureusement les pistes sont fraîchement ouvertes ce qui facilite la progression.

Un magnifique point de vue. Un kilomètre après le chalet de l'ecureuil
Il y a ici une quantité incroyable de neige!! Près d'un mètre en une seule tempête la fin de semaine dernière. Une fois tombé, il est très difficle de se relever seul. Denis se retrouve même pris dans une espèce de trou où la couche de neige est particulièrement épaisse. Il faudra l'aide de deux d'entre nous pour le sortir de là... Peu de temps après, c'est à mon tour et après quelques vains efforts je commence à comprendre ce que doit ressentir une tortue renversée sur le dos dans une fosse de sable mouvant. Couché dans la neige, empêtré dans mes skis, la moitié du corps enseveli, je cherche en vain un point d'appui. Mes bâtons s'enfoncent presque jusqu'à la garde et du plus profond que je puisse aller avec ma main, rien de solide ne me permet de m'y appuyer. Dès lors pour des raisons de sécurité, rester groupés nous semble être impératif et le groupe, qui s'était étiré sur presque un kilomètre, progressera désormais ensemble.

Le trajet jusqu'au lac Favre est facile et superbe, avec quelques jolis points de vue sur les montagnes environnantes. Passé celui-ci, une courte montée dans un terrain ouvert et déboisé (par le feu?) nous attend, tandis que tout autour des parois glacées montent la garde.

Pause de sac-à-dos lors du diner
Nous nous arrêtons au trois quart de la montée et dînons allignés à même la piste. Quelques uns d'entre nous en profitent pour enlever leurs skis. Ils n'iront pas loin! La neige leur monte facilement jusqu'à la mi-cuisse et remonter sur ses skis devient alors tout un exploit. La pause est tout de même de courte durée car il est déjà tard (près de 12H30) et nous n'avons couvert que seulement un tiers de la distance totale que nous avons à faire aujourd'hui. La montée est heureusement assez courte et, malgré un passage particulièrement abrupte et étroit, rapidement négociée. Arrivé en haut, un paysage spectaculaire s'offre à nos yeux.

Eric devant la descente de la rivière du Gouffre
Devant nous se trouve une immense cuvette entourée de petites montagnes et formée par la descente de la rivière du Gouffre. La piste y plonge littéralement. Elle est à peine skiable et ce malgré l'épaisseur de neige folle qui heureusement (cette fois ci du moins!) nous ralentit beaucoup. Nous mettons tous nos peaux à skis dans cette descente infernale, sauf Eric et Julie qui, fidèles à leurs habitudes, dévalent les pentes en trombe et ce non sans quelques chutes spectaculaires. Je ferme la marche avec Blaise et à la moitié de la descente nous croisons un couple d'anglophone qui remontent la pente. Une brève conversation s'engage alors sur la nature de le section de piste qu'il nous reste à faire. Une phrase nous marque: "The worst is still to come" nous répètent-ils sans cesse... Nous les regardons nous dépasser et continuer à monter. Ils sont tous deux très bien équipés et possèdent une bonne technique, ce qui nous fait un peut réfléchir sur ce qui nous attend. Sur la carte pourtant il n'y a rien de bien difficile devant nous. Bien moins difficle que ce que l'on vient de faire depuis le matin. Bizarre... (Nous apprendrons plus tard qu'ils ont dû passer la nuit précedente dans le bois, n'ayant pu attendre le camp Boudreau ou le chalet Marmotte.)

Les quelques 3 kilomètres suivants sont parcourus assez lentement malgré le fait qu'ils ne présentent pas de difficultés majeures. Il faut dire que nous en sommes tous à notre première expérience avec les peaux et ne prennont pas toujours le temps de les enlever/mettre au bons endroits. Certains d'entre nous les enlèverons plus de la journée malgré le peu de glisse qu'elles offrent et en seront réduits à marcher le reste du sentier. D'autres, comme moi, préfère quand même ne les utiliser que le moins possible, quitte à travailler un peu plus fort lors des montées.
A peine 16H00 et déjà la dernière pause photo de la journée.
Nous sommes maintenant presque au fond de la cuvette et le soleil est déjà caché par la montagne d'en face. La végétation, très clairsemée sur les versants, devient de plus en plus dense au fur et à mesure que nous approchons de l'embouchure de la cuvette. Il commence maintenant à faire vraiment sombre malgré le fait qu'il n'est pas encore tout à fait encore 16h00. C'est alors que nous croisons un chemin bloqué par une chaîne et par des troncs d'arbres couchés de travers. Cela doit être l'ancienne piste des années précédentes et qui a dû être fermée à cause d'une dispute territoriale. Elle n'est pas ouverte et comme prévu nous continuons donc à suivre les traces de skis du groupe nous ayant précédé la veille. La sentier s'engage soudainement vers le nord en même temps que commence à apparaître dans le ciel quelques rares étoiles. Nous sommes tous certains que c'est la fin de la cuvette et que nous contournons maintenant la montagne par l'est. Il est 16H30 et nous commencons à monter, monter, monter, monter...

Tout ce dont je me souviens ensuite c'est qu'à certains endroits, je me demandais carrément si nous ne nous étions pas trompés de chemin tellement la pente était aigüe. J'avais les palettes de skis dans les yeux. Ici sans les peaux, point de salut. Il y avait d'ailleurs de creuses traces de pas dans la neige tout au long de la montée, vestiges du passage du groupe qui nous précédait. L'équipe s'est éclatée au fil de la montée: A l'avant, Eric et Julie ouvrent la marche à environ 500 mètres devant nous. Denis en solitaire se retrouve quelque part entre les deux groupes. Rendu enfin en haut vers 18h30, je suis transit et commence à greloter. Nous faisons une courte pause de 10 minutes afin de reprendre nos forces. Il fait maintenant nuit.

Nous longeons la crête dénudée et avec l'aide de la lune, pouvons facilement voir les collines environnantes. Au loin, de minuscules point de lumières nous rappellent que la civilisation reste quand même toute proche. Le relief du terrain nous permet d'estimer notre position à environ 3 kilomètres du refuge. Malgré le peu de distance que cela représente, nous sommes tellement écoeurés et épuisés que cela en est décourageant. La moindre descente, meme petite, nous redonne cependant de l'énergie juste à penser que nous quittons les hauteurs et allons vers la vallée en bas. Hélas! La montagne est sournoise et il faut à plusieurs reprise remonter tout ce que nous avons descendu, ce qui ne fait rien pour aider le moral du groupe. De toute manière, il y a longtemps que je ne réfléchi plus et avance comme un robot au bout de ses piles. Il me viens même à l'esprit des idées dangereuses du genre "...et si on dormait ici cette nuit?"! Après une heure, nous rattrapons l'avant-garde dans ce qui s'avèrera la descente finale. Comble de malheur, une des fixations d'Eric semble vouloir nous lâcher. Une réparation de fortune avec un peu de duck-tape et du fil de laiton lui permettra de continuer. Le dernier kilomètre et demi se fait sur le plat et j'en profite pour enlever les peaux. La sensation de me savoir si près du refuge me redonne de l'énergie. Arrivé au lac les traces de ski s'évanouissent dans le vent et nous nous dirigeons à toute vitesse vers un petit point luminueux dans les bois. Une petite lampe gentillement laissée en dehors du chalet Marmotte par nos prédécesseurs afin de nous guider. Nous arrivons enfin au chalet Marmotte vers 21H30. Nous ne sommes pas seul. L'équipe qui nous précédait s'y trouve. Hier, ils ont tout ouvert la piste dans la montagne et sont arrivés au chalet Marmotte à 1H00 du matin après plus de 14 heures de ski! L'un d'entre-eux a subi des engelures aux deux pieds, ceux-ci étant encore gonflés comme des ballons et d'une désagréable couleur bleutée. Nous appellons aussitôt des secours à l'aide du téléphone cellulaire que nous avons loué pour l'occasion. Les préparatifs pour le lendemain débute aussitôt en même temps que le souper. A 23H00 nous sommes tous dans nos sac de couchage et espérons secrètement que c'est vraiment la plus difficle des journées de la Traversée!





© 1996 Benoit Girard. Toute reproduction interdite sans consentement écrit de l'auteur