La troisème journée

Matin Midi Soir

30 décembre 1995

-10 degrés Celsius maximum
Ski de 11h00 à 16h00. 0h45 de pause.
12,5 Km parcourus


En longeant les pylônes

Nous nous réveillons tard. La journée commence par la collecte de notre matériel, encore éparpillé un peu partout sur le sol du refuge, pendant que Blaise s'attarde à réparer la fixation brisée du ski à Eric. Les corps sont courbaturés et les esprits un peu vide. La question à l'ordre du jour: "Est-ce que cette journée va être aussi épuisante que celle d'hier?" Peu d'entre nous y croit. Non... Impossible. N'importe quoi d'autre sera définitivement plus agréable. La carte topo nous réconforte, il n'y a seulement qu'une douzaine de kilomètres à faire, et ce sur un terrain assez plat.

Alexis est transporté dans le traîneau.
Pour lui et son équipe c'est la fin de la traversée.
L'autre équipe s'affaire également. Cependant pour eux c'est la déception car ils doivent rebrousser chemin. Je ne peut m'empêcher de regarder Alexis qui, couché sur la table, suit des yeux les préparatifs du départ. On peut lire l'inquiétude dans son regard. Ses pieds, qui la veille étaient d'une vilaine teinte bleuté, restent quand même encore très enflés. Triste rappel que cela pourrait fort bien être l'un d'entre nous.

Une motoneige tirant un traîneau arrive vers 10H00. Ce sont les secours que nous avions appelés la veille à l'aide du téléphone cellulaire! Les deux groupes unissent alors leurs efforts pour transporter Alexis et les bagages dans le traîneau. Celui-ci est assez grand pour pouvoir contenir tous les membres de leur expédition et c'est ainsi qu'ils feront le voyage de retour. On se dit rapidement bonjour, bonne chance et à la prochaine fois... En voyant la motoneige repartir et nous laisser au silence des lieux, nous nous sentons soudainement un peu seuls car c'est à nous désormais que revient la dure tâche d'ouvrir le reste de la piste pour la première fois de l'année et d'arriver à chaque fois dans un refuge froid qui n'a pas été habité depuis les premières neiges. Nous allons cependant nous aussi profiter de la motoneige car elle a ouvert un chemin du chalet Marmotte jusqu'à la sortie de secours. Cela fera presque 3 kilomètres de moins à ouvrir pour nous!

Julie, toujours souriante malgré son énorme sac-à-dos!!
La piste est facile, très facile jusqu'au petit pont enjambant la rivière du Gouffre. Le groupe s'étire et, traînant encore un peu de la patte (mes talons étant à vif), je ferme la marche. Nous atteignons rapidement la sortie de secours, qui est un chemin assez large et, oh bonheur!, ouvert. C'est un des nombreux chemin de terre de l'arrière-pays qui l'hiver sont fermés à la circulation automobile et servent d'autoroutes pour motoneigistes. La neige y est tapée et durcie, ce qui est idéal pour du ski de patin mais les 25 kilos que je porte sur mon dos m'en dissuade rapidement. Après quelques centaines de mètres de ski sur cette neige compactée nous voilà tous réunit à nouveau pour une petite pause et une grande discussion... Des panneaux nous indiquent qu'il faut désormais s'engager dans une piste, manifestement non tracée, qui nous acceuille avec une vilaine petite montée. C'est ici que la Traversée quitte le chemin pour s'engager à nouveau dans le montagne boisée. Sur la carte nous voyons qu'il y a cependant une autre alternative car sur cette section du trajet on retrouve deux chemins différents, (un pour les vélos de montagne et l'autre pour les randonneurs), qui permettent d'atteindre le refuge. Nous sommes encore tous fatigués des efforts donnés la veille et c'est après un consensus (rapidement obtenu!) que nous optons pour le plan B, c'est-à-dire continuer à skier sur le chemin ouvert qu'emprunte les vélos de montagne et ainsi nous épargner les efforts d'ouvrir 10 kilomètres de piste.

Celui-ci serpente à travers les vallées, croisant et re-croisant la ligne les pylônes d'Hydro-Québec. Il faut dire que ce n'est pas là la plus belle section de la Traversée mais elle a l'avantage d'être très facile. De plus, la largeur du chemin et le relief peu accidenté fait qu'il est possible de skier à deux de front et de pouvoir ainsi jaser tranquillement, ce qui brise un peu la solitude qu'on éprouve habituellement lorsque l'on se suit en file sur une piste étroite toute la journée. Le chemin est emprunté également par les motoneigistes et il faut donc être prudent car ils ne s'attendent pas toujours à avoir à partager le chemin avec des skieurs...

Nous arrivons tard en fin d'après-midi au fond d'une longue vallée ou se trouve le chalet La Chouette. Comme nous nous y attendions, personne ne l'a habité depuis quelques semaines, la porte étant encore bloquée par la neige. Le refuge du Bihoreau quant à lui n'est plus maintenant qu'à environ un kilomètre, plus haut dans les montagnes. C'est ici que nous avons à prendre une décision importante quant à la suite de l'expédition. Devons-nous dormir au chalet La Chouette (Nous savons que personne ne va l'habiter ce soir) et continuer demain par le raccourci ou devons-nous aller au refuge du Bihoreau et skier la boucle dans les montagnes? La journée ayant été facile jusqu'ici nous optons rapidement pour la deuxième solution. De plus nous ne voulons pas manquer cette section, même si il faut ouvrir les 5 kilomètres en montagne, car selon Eudore il s'agit de la plus belle partie de la Traversée.

Avec de la poudreuse jusqu'au genoux, nous commencons à ouvrir la piste et passons sous les lignes électriques qui émettent un sourd bourdonnement et d'inquiétants crépitements. Le dernier kilomètre est une longue montée assez abrupte, ce qui fait dire à certain d'entre nous que le Bihoreau aurait définitivement dû s'écrire Bi-Haut-reau! Les skis ne mordent pas dans cette poudreuse profonde et l'étroitesse ainsi que la pente du sentier nous forcent à ressortir nos peaux.

Au refuge du Bihoreau, après le souper.
Le Bihoreau est un petit refuge de contre-plaqué situé dans une cuvette montagneuse, entouré de superbes falaises de roches et de glaces. En arrivant nous constatons qu'il fait aussi froid à l'intérieur du refuge qu'à l'extérieur! Pas de temps à perdre! Nous nous divisons spontanément les tâches et voilà que les alentours du refuge bourdonnent d'activités. Je coupe du bois avec Blaise et Denis, Luc allume un feu dans le poêle à bois, Julie et Elyse vont chercher de l'eau dans le lac en face du refuge et Jacynthe commence à préparer le repas. La noirceur tombe déjà et le groupe se retrouve à l'intérieur. Surprise! Malgré sa petitesse le Bihoreau est très long à réchauffer. Il faut nous changer rapidement et enfiler des vêtements secs. Les cordes à linges chargées de vêtements mouillés semblent étouffer le poêle et occupent presque la moitié du refuge. Les événements s'enchaînent rapidement et c'est bientôt l'heure du souper. On voudrait (et on essaie!) bien de relaxer mais avec ce qui nous attend comme journée demain mieux vaut se coucher de bonne heure. Je dévore rapidement mon plat de spaghetti tandis que d'autres s'attaquent déjà à la corvée de vaisselle. Bientôt, (Et comme c'est le cas dans à peu près tous les refuges) celui-ci ressemble de plus en plus à un sauna au fur et à mesure que les heures passent et il nous faut laisser la porte à moitié ouverte pour évacuer la chaleur même si il fait moins quinze Celsius à l'extérieur!! L'heure de réveil est fixée à 6H00. La dernière bougie s'éteint et quelques secondes plus tard je suis déjà endormi...





© 1996 Benoit Girard. Toute reproduction interdite sans consentement écrit de l'auteur