Yeux de BoudhaTrekking Everest
mi-avril 2000Introduction | Chapitre I: Népal | Chapitre II: Tibet | Chapitre III: Mont Everest


Vers le camp de base - 11 avril 2000

Nous quittons tôt le matin la chaleureuse petite auberge tibétaine pour nous rendre tout d'abord au "check point" situé juste après Shegar, où des militaires chinois inspectent d'un air désintéressé nos passeports et visas de séjour. Malgré ce petit délai administratif le groupe est particulièrement joyeux et excité ce matin car nous allons enfin pouvoir admirer la plus haute montagne du monde. Pour les grimpeurs cela représente l'aboutissement de près de deux ans de préparations et de rêves. Pour le reste d'entre nous, il s'agit d'une autre journée de total découverte et d'émerveillement. A moins d'une heure de Shegar, un panneau délabré affiche en trois langues (Anglais, tibétain et chinois) la direction à suivre vers le parc du Chomolungma (Everest en tibétain). Le village de Tse, encaissé dans une superbe vallée, impose un droit de passage. Nous en profitons pour sortir des jeeps et sommes rapidement encerclés par une douzaine de petits enfants. Les cheveux ébouriffés et rigides de crasses, souriant et curieux, nous les gâtons avec des barres tendres et des feuilles de papiers. On nous avait prévenus qu'il ne fallait pas le faire, que cela allait causer un comportement stéréotypé face aux touristes, mais ce n'est pas facile de résister tellement cela est un plaisir de donner à ceux qui n'ont pratiquement rien.

Vue impressionnante de l'Himalaya à partir du sommet de la passe de Pang La. Le mont Everest est la grande pyramide blanche au centre.
Immédiatement après le village commence une longue et tortueuse piste en épingle à cheveux, montant péniblement à travers un champ de roches, jusqu'au sommet de la passe de Lalung La. Les jeeps nous lâchent encore, cette fois-ci à moins de quelques dizaines de mètres du sommet de la passe et pendant que les chauffeurs chinois discutent de la meilleure approche à prendre pour la réparation, nous grimpons à pied les derniers mètres jusqu'au sommet. De l'autre coté, le panorama qui s'offre à nous y est tout simplement fantastique! Tout au long de l'horizon, sous un ciel sans nuage, se dresse les cîmes enneigées de 8 des plus hautes montagnes du monde. Et là, surmontant clairement tous les autres, s'offre à nous l'immense triangle noir de l'Everest, se détachant clairement sur le fond de ciel bleu. Les grimpeurs, après une courte période d'exubérance, méditent maintenant en silence comme s'ils réalisaient soudainement l'immensité de leur objectif.

Immenses moraines laissées par le retrait du glacier Rongbuk peu avant le monastère du même nom. Voyez la jeep à gauche, au milieu de la photo!
La route redescend aussi abruptement que la montée et croise des de très vielles ruines de forteresses datant du 13ième siècle. J'aurais bien aimé y passer plus de temps (où même y passer la nuit), mais notre horaire est trop chargé. Nous nous arrêtons pour dîner au village très rustique de Phadhruchi. Des paysans et des nomades, sur leurs petits chevaux nous croisent. Pas possible de prendre une photo! Le petit restaurant tibétain où nous dînons est charmant, très typique, mais certains (dont moi-même qui ne suis habituellement pas dédaigneux) ont un choc lorsqu'ils découvrent que les seuls ustensiles disponibles sont des baguettes trempant dans un bol d'eau posé au centre de la table. Elles ont les deux bouts noircis, encore humide, et manifestement déjà utilisées! Inutile de préciser que j'ai mangé ma soupe avec mes doigts ce jour-là... Une agréable pause sur le toit plat de la bâtisse nous fait rencontrer deux alpinistes suisses prenant une pause du camp de base.

Caravane de Yaks montant au camp de base avec des provisions.
La route se poursuit et nous laissons rapidement les dernières habitations derrière nous. Seuls quelques cavaliers, magnifiques avec leurs grands chapeaux de fourrures et leurs petites montures décorées de couleurs éclatantes, croisent notre route. Dans un désert de roches et de sable, nous longeons une mince rivière où coule un torrent d'une eau froide et limpide. Au fûr et à mesure que nous approchons de sa source, les moraines et débris du glacier sont de plus en plus apparente jusqu'à devenir immenses, ne laissant paraître de la piste que deux pâles traces sur le sol. Le dernier lieu habité est le très petit monastère du Rongbuk, où se trouve quelques moines et petit restaurant tibétain. Juste en face, des caravanes de Yaks, apportant des vivres au camp de base, défilent lentement dans les champs de pierres. A partir du monastère, il nous faudra encore 45 minutes de jeep avant d'atteindre le camp de base, point de départ obligatoire de toutes les expéditions qui tentent d'atteindre le sommet. A l'arrivée au camp de base, nous sommes tous un peu crevé. Quelques tentes des autres expéditions ça et là sont déjà montées. Nous préparons notre campement, ce qui à 5150 mètres d'altitude, n'est pas une tâche facile et nous prend beaucoup de temps et d'efforts. Le temps d'un court repas il fait déjà noir et nous allons nous tous nous coucher.

Le camp de base - 12 et 13 avril 2000

Notre campement au camp de base sous la neige.
Nous nous réveillons sous la neige ce matin. La nuit a été très froide, -20 Celsius, ce qui ne m'a pas empêché de dormir d'un sommeil profond jusqu'à environ 3H00 heures du matin, où en pleine crise de manque d'oxygène je me réveille tout d'un coup. La respiration difficile, je n'ai pas dormi du reste de la nuit. C'est la première fois que je ressentais si directement les effets de la haute altitude. Le jour levé, toute la vallée est recouverte de plusieurs centimètres de neige et le plafond nuageux à une centaine de mètre plus haut masque toutes les splendeurs de la veille. A notre arrivée à la tente cuisine, qui est une vieille tente en toile robuste de type militaire avec une grande table au centre où tout le groupe entre à peine, nous sommes accueillis par le cuisinier tibétain qui nous offre du thé, des galettes de pain frit dans l'huile, du beurre d'arachide "made in india", des confitures "made in china", ainsi que des oeufs à la coque.

Le camp de base (on aperçoit à peine les tentes jaunes alignées au loin) vue du début glacier du Rongbuk.
Durant les deux prochaines journées, par petits groupes, nous effectuons des marches de reconnaissances dans les environs du camp de base. Ceci nous permettra de nous acclimater à la haute altitude. Moi, Elyse, Marie-Josée et Jean-Paul partons en direction de la fin du glacier du Rongbuk, à moins de deux kilomètres du camp de base. Nous traversons assez rapidement la plaine glaciaire, recouverte de petites pierres et rejoignons le début de l'étroit sentier menant au camp 1. Une courte montée (mais combien essouflant!) et nous sommes sur le glacier, qui, sauf de petits lacs de surface, est entièrement recouvert de pierres et de terre. On ne voit la glace, d'une magnifique teinte bleutée, que beaucoup plus loin tout au fond de la vallée. Derrière nous le camp de base semble si près! Difficile d'évaluer les distances correctement dans ce décor de géant. De retour au campement, nous attendons les autres, qui suivant François, se sont tapés une balade pas mal plus difficile.

La face nord de l'Everest vue du camp de base. L'amoncellement de roches au centre est le début du glacier du Rongbuk.
Le reste des journées est passé à rencontrer les membres des autres expéditions qui nous côtoient (Une britannique et une hollandaise) et pour moi d'essayer de faire fonctionner la connexion à Internet afin que Bernard puisse télécharger les photos de son appareil numérique. Rien à faire, la connexion satellite avec le canal de données ne dure pas. Il faut dire que le commanditaire est la compagnie Iridium et qu'elle déclarera faillite peut de temps après notre retour! Nous pouvons quand même utiliser le canal voix et je me retrouve devant l'Everest à parler à mon grand ami Luc situé à Montréal. Etrange sensation; être si loin et, mis à part le décalage de quelques secondes entre nos paroles, on se croirait sur un appel local tellement la connexion est claire. Le soir venu, plusieurs commencent avoir de petits problèmes dus à l'altitude et c'est ainsi que débutera le rituel de prise journalière de médicaments. Pour moi cela signifie: 3 tylenol (pour le mal de tête) et 2 capsules de dexametazone (stimulant pour combattre les effets de l'altitude). Demain, nous nous lancerons à l'assaut des premiers camps dans l'espoir de se rendre le plus loin possible avec les limites de notre permis de séjour, soit le camp III, communément appelé camp de base avancé (ABC). Il y a dans l'ordre; le camp de base (5150), le camp I (5450), le camp II (5970), le camp de base avancé (6400), le camp du col nord (7100). Après cela, certaines équipes tentent le sommet directement ou avec l'aide d'un autre camp situé à 7800 mètres. Nous avons planifié trois jours pour marcher jusqu'au camp de base avancé. Les alpinistes quant à eux y montent directement du camp de base en une longue journée de 20 kilomètres et de 1250 mètres de dénivelé. Il y en a qui sont vraiment en forme!

Camp I - 14 avril 2000

En route vers le camp I, longeant le glacier du Rongbuk. En face, l'Everest est partiellement masqué par les nuages.
C'est le grand départ vers le camp I! Notre caravane (2 cuisiniers, 5 yakmen et une douzaine de yaks) marche lentement vers le début du glacier du Rongbuk. Nous marchons allège, tout l'équipement étant chargé sur le dos des yaks. La température est idéale pour cette balade de 8 kilomètres. Nous atteignons rapidement le début du sentier qui serpente dans un étroit sillon entre la paroi de la montagne à gauche et le mur de roches du glacier à droite. Je me retrouve rapidement seul avec Elyse. Les yaks et le reste de l'équipe sont devant et nous ne les reverrons plus de la journée. Le sentier est pratiquement plat sur les premiers 6 kilomètres. Malgré cela je peine beaucoup, avançant très lentement et doit m'arrêter à tous les 10 minutes pour reprendre mon souffle. Je suis très fatigué et nous mettons plus de deux heures et demi pour atteindre le début de la montée qui nous amènera dans la vallée du glacier East Rongbuk. Droit devant nous devinons L'impressionnante face nord de l'Everest, avec ses trois kilomètres de haut. Malheureusement celle-ci est à moitié cachée par les nuages.

Le camp I. Notez les deux tentes cuisines vertes. Plus loin, à droite on peut voir la tente des yakmens.
Le sentier monte abruptement pendant près d'un kilomètre. Oh la la... Si la marche d'approche était pénible, la montée est tout simplement catastrophique. C'est à coup de courtes étapes d'au plus 5 mètres de distance que nous montons, chacune d'entre elles étant suivit d'une pause de quelques minutes pour reprendre notre souffle... J'avance comme si je portais un sac de 40 kilos sur le dos, mais je ne transporte qu'une bouteille d'eau, la caméra (que je n'ai pas eu la force d'utiliser) et un peu de nourriture. 300 mètres de gain d'altitude épuisant qui nous prendra presque deux heures! En haut, la vue sur le Rongbuk est saisissante, avec le centre du glacier torturé de tour de glace en dent de scie bleutée. Nous prenons une longue pause et mangeons ce qui nous reste du dîner. Les oeufs à la coque seront les bienvenues cette fois-ci mais plus pour longtemps. Le camp I se trouve très près maintenant, à moins d'un kilomètre de nous. Heureusement le sentier est beaucoup plus facile après et nous apercevons les premières tentes du campement. Un court souper termine cette dure journée. Nous sommes à 5450 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Camp II - 15 avril 2000

En route vers le camp II, en arrivant au camp intérimaire.
Ce matin je me sens beaucoup mieux. Il fait beau et moins froid que les jours précédents. La tente est rapidement démontée et le tout chargé sur ces pauvres yaks. Le sentier se poursuit zigzaguant sur le glacier, également entièrement recouvert de roches. J'avance rapidement avec Elyse et nous montons graduellement à travers les crêtes successives des amoncellements de pierres du glacier. Nous rejoignons Jean-Paul, qui avec ses 65 ans, se tire quand même pas mal bien d'affaire! C'est à trois que nous poursuivons le reste de la journée, moi trop heureux de profiter d'un rythme de marche lent mais pas épuisant, ce qui nous permet de profiter du paysage et de prendre quelques jolies photos. Peu avant le dîner nos yaks nous dépassent. Ils suivent la piste guidés par les yakmens, vêtus de peaux, le manteau ouvert et ne portant que de minces souliers de toile. Difficile à croire qu'ils ne se foulent pas une cheville! On aperçoit maintenant le camp intérimaire, situé sur une large crête devant laquelle se trouve deux immenses trous. Une expédition semble s'y être arrêtée pour la nuit, et on peut y voir leurs grosses tentes un peu partout. Juste à coté la glace s'est effondrée laissant des cratères aux parois glacées d'une douzaine de mètres de profondeur. Le sentier les longe d'assez près et, pris de vertige, je préfère marcher dans le champ de roche un peu plus en retrait. C'est ici que nous dînons avec tout le reste du groupe. Nous sommes à mi-chemin vers le camp II. L'altimètre indique 5700 mètres.

Elyse dans notre tente au camp II. Les pénitents de glaces sont assez spectaculaires à cet endroit.
Les nuages arrivent en après-midi comme d'habitude, et c'est sans le soleil que nous marchons en file indienne sur le sommet de la crête centrale. Depuis peu nous apercevons des deux cotés les premiers pénitents de glaces. Ce sont d'immenses structures triangulaires de glaces qui s'élèvent à plus de dix mètres au-dessus du glacier. C'est magnifique, on dirait les voiles blanches d'un très long voilier. Malheureusement Jean-Paul commence à être sérieusement au bout du rouleau malgré les encouragements un peu trop intenses de François. De plus, je commence à tousser d'une toux sèche et creuse. L'air en altitude est très sec et je ne suis pas le seul de l'équipe à avoir ce problème. Ma peau est également très sèche et j'ai les lèvres toutes crevassées malgré le baume que j'y ai mis ce matin. Les derniers kilomètres seront épuisants, un rappel de la fin de la journée d'hier. Mais le camp II est situé dans un endroit tellement beau que l'on oublie toute la misère que nous avons éprouvé pour nous y rendre. Encaissé au bas d'une montagne enneigée, encadré par d'immenses pénitents de glaces. Nous commençons aussitôt à monter notre tente. Annie, François et Jean-Paul arrivent peu de temps après et ce dernier se couche immédiatement, totalement épuisé. Nous ne le reverrons pas de la soirée. La nuit venue nous sommes à nouveau réunis dans la tente cuisine et discutons de la journée de demain. Le plan initial n'était de faire qu'un aller-retour au camp de base avancé (camp III), mais certains ont encore assez d'énergie pour accompagner les grimpeurs jusque là et d'y passer la nuit. Marie-Josée, Jean-Pierre, Annie et Pierre partiront donc avec les grimpeurs, sauf André qui semble assez mal en point. Il souffre de l'altitude (nous sommes maintenant à 5970 mètres d'altitude) et il est clair pour nous tous qu'il ne peut pas aller plus haut cette fois-ci. Pour lui et les autres se sera une journée de repos.

Vers le camp avancé - 16 avril 2000

Vue du camp II en montant vers le camp avancé. Pas mal de monde vont au camp de base avancé aujourd'hui.
Cette nuit j'ai vraiment mal dormi, me réveillant très tôt (en sursaut dû au manque d'oxygène) dans la nuit et ne pouvant tout simplement plus m'endormir par la suite. Ceci m'a au moins permis d'entendre les nombreux bruits que fait le glacier. Craquements, sifflements, frottements, éboulements, n'inspirent guère confiance et me rappelle les dangers potentiels de l'endroit que nous avons choisi pour y planter notre tente. Enfin le jour. Je ne mange que des noix et des barres tendres ce matin. La friture et l'odeur des oeufs cuits me donnant la nausée. Le groupe se sépare en deux ce matin. Nous en profitons pour explorer un peu autour du campement, pendant que de longues files de grimpeurs, accompagnés de leurs caravanes de yaks, défilent devant notre tente. Il y a même deux russes qui s'arrêtent pour faire une pause et s'allumer une cigarette! Et moi qui n'a déjà pas assez d'oxygène à respirer! Je commence à regretter un peu de n'être pas parti avec les autres. J'aurai tellement aimé aller au camp de base avancé!

Ouf! 6150 mètres. C'est ici que nous arrêtons. Il fait très froid malgré le soleil de plomb.
Imitant René, je pars avec Elyse avec l'intention de me rendre plus haut de l'autre coté de la montagne, à mi-chemin vers le camp III, là où on peut voir l'Everest de nouveau. Nous suivons le sentier qui monte abruptement juste après le camp II. Le tempo est très lent, même après avoir franchi ce premier obstacle. De l'autre coté, le glacier devient plus étroit et on peut voir au loin (un kilomètre peut être, ce n'est pas facile d'estimer la distance) le corridor de glace que nous avions vue en photo auparavant. Ma tête tourne, et c'est avec une grande difficulté que je continue. Un pas, un pas, pause avec quatre respirations pour reprendre mon souffle. Peu de temps après nous faisons une pause pour dîner et notre corps décide que c'est assez. Nous n'irons pas plus haut. C'est crève coeur je sais mais à ce moment précis tout mon être m'indiquait qu'il fallait que je redescende. Nous nous sommes rendu (j'estime) à près de 6150 mètres d'altitude. René c'est rendu plus loin et a pu apercevoir l'Everest avant de revenir à son tour. Le souper du soir fût encore une fois assez bref, et j'ai du me forcer à avaler un peu de soupe malgré mes maux de tête et ma nausée. Cette nuit-ci je suis tout simplement incapable de fermer l'oeil. Ma tête va exploser, mes pulsations cardiaques sont à 110 par minute au repos. Dans la nuit sombre, j'attends avec impatience le lever du soleil...

Retour - 17 et 18 avril 2000

Sur le glacier du East Rongbuk redescendant au camp intérimaire. Les pénitents de glace nous encadrent de chaque coté.
Le matin venu je peux sentir l'odeur écoeurante de la friture provenant de la tente cuisine. Je n'ai pas du tout le goût de manger (pas ca en tout cas) et n'ai qu'une seule idée en tête; redescendre. Il fait très froid aujourd'hui, la descente se passe relativement bien et nous arrivons tous ensembles au camp intérimaire. Là nous faisons une pause, tout le groupe entassé autour d'une énorme pierre pour nous protéger du vent glacial. Comme nous nous apprêtons à repartir, un autre grimpeur nous informe que notre cuisinier est couché plus haut sur le sentier. Les quatre grimpeurs retournent sur leurs pas pendant que nous montons les tentes. Il n'y a tellement pas de place au camp intérimaire que les seuls endroits plats sont recouverts de bouses de yaks séchées. Le cuisinier est vraiment mal en point et François et Claude-André devront redescendre jusqu'au camp de base avec lui, couché sur le dos d'un yak, en proie à un sévère mal d'altitude. Ce n'est pourtant pas la première fois qu'il monte aussi (et même beaucoup plus) haut mais cette fois-ci il a été moins chanceux. On ne s'habitue jamais complètement à l'altitude. Quant à moi; presque pas mangé du souper et deuxième nuit infernale. Je me sens de moins en moins bien, il est vraiment temps que je redescende également.

Le lendemain matin, même scénario que la veille; incapable de mangé quoi que ce soit au déjeuner. Cette fois-ci c'est encore pire que la veille, alors que j'en arrache vraiment juste pour lacer mes bottes. Je dois m'y prendre à plusieurs reprise avant de terminer mes noeuds, car la tête me tourne trop lorsque je suis accroupi. Quant à la tente et aux sacs, je n'arriverai pas à les faire complètement et il faudra que d'autres nous aident. La descente est très lente, mais au fil des heures, alors que nous perdons graduellement de l'altitude, je me sens de mieux en mieux. C'est alors que nous croisons Claude-André qui doit remonter... Jusqu'au camp de base avancé! Il a oublié en haut une bobine de film que nous devons ramener à Montréal. Hors nous partons demain matin de bonne heure et il devra faire en une longue journée ce qui nous a pris 5 longues journées!! Lorsque nous arrivons enfin au glacier du Rongbuk, et revoyons la face nord de l'Everest, nous sommes toujours avec Jean-Pierre et Marie-Josée, ce qui est bon signe car jamais jusqu'alors nous n'avions réussi à suivre le rythme des autres membres de l'équipe. C'est d'ailleurs là que nous avons rencontré une équipe japonaise dont un des membres essayait de monter le sentier à moto! Jean-Pierre en fera d'ailleurs une belle photo pour le journal La Presse de Montréal. Dernière nuit sous la tente, après un court mais émouvant party d'adieu aux quatre grimpeurs. Nous leurs souhaitons tous bonne chance.

Nyalam - 19 avril 2000

L'Everest vu du monastère du Rongbuk. Le panache de neige est causé par le vent Jet Stream qui balaie le sommet.
C'est aujourd'hui le jour du grand départ et nous retrouvons Tashi. Je ne suis pas mécontent de partir bien que j'aie pu dormir une nuit complète, la première depuis 5 jours. Les grimpeurs (Claude-André est revenu au camp de base vers minuit) ainsi qu'Isabelle nous accompagnent, accrochés derrière les jeeps, jusqu'au monastère du Rongbuk. C'est une très belle journée et la vue que nous avons de l'Everest est tout à fait saisissante. On y voit très bien le sommet, culminant à plus de 8840 mètres, ainsi que l'arête sommitale à gauche de celui-ci, laquelle est empruntée par tous les alpinistes tentant la conquète du sommet. Pour vous donner une idée de la dimension de la montagne, cette arête sommitale fait près de 2 kilomètres de long et est bordée de part et d'autre de précipices de 2500 mètres!! La traînée blanchâtre, visible en partant du sommet, est composée de neige soufflée par les vents du jet stream, filant à plus de 200 kilomètres à l'heure. Il y a une auberge tibétaine, ainsi qu'un restaurant en face du monastère où nous passerons notre dernier repas en compagnie des grimpeurs. Un jeune moine d'une dizaine d'année se fait gâter par notre équipe. Il est particulièrement intéressé aux barres de fruits séchées que nous avons apportés avec nous. C'est quand même triste de penser à ce que l'avenir lui réserve dans ce coin perdu de tout. Un trajet inverse de plusieurs heures nous ramène à la jonction avec la route principale, avec son lot de bris mécaniques. A droite Shegar et son checkpoint, à gauche, le Népal. A notre grande surprise, Tashi nous demandent à tous de sortir des jeeps. Les chauffeurs chinois veulent aller faire le plein à Shegar et ne désirent pas perdre de temps au checkpoint avec nous. Bon. Ok... Nous voilà bientôt toute l'équipe, sans matériel, attendant le retour de nos véhicules au croisé d'une route en terre dans un vaste paysage désertique. Après une heure d'attente, nous sommes quand même soulagé de revoir nos jeeps.

Elyse et moi au monastère du Rongbuk avec le mont Everest en arrière plan. Notez également les mantras sculptées sur les roches.
La route se poursuit, longeant les vallées, interminable dans cet univers de roches et de poussières. Nous sommes tous rapidement endormis, (Moi, Elyse, claire et Ghislain) bercés par le roulis et le tangage de notre véhicule. Le soleil se couche lorsque nous commençons à monter le flan d'une très large vallée. J'ai toujours en tête la mise en garde de Claude-André sur l'épouvantable route qui se trouve devant nous. Peut-être venons-nous tout juste de la passer après tout? Il fait nuit lorsque nous arrivons enfin en haut. Cependant nous ne voyons plus les phares des jeeps qui nous suivent. Que leurs est t'il arrivé? Cela n'a pas l'air d'inquiéter notre chauffeur. Probablement un autre bris mécanique. Après une heure de route, comme nous sommes le véhicule de tête, le chauffeur s'arrête sur le coté, juste à côté d'une pile de drapeaux à prières. Nous sommes au sommet d'un col. Je sors de la jeep. Il y fait très froid avec un fort vent. Juste en face de nous, tout au long de l'horizon, éclairé par la forte lumière de la pleine lune, se trouve un mur de hautes montagnes. Les cimes blanches reflètent les pâles rayons de la lune et donne un aspect féerique à l'ensemble. Oui, je suis bel et bien au bout du monde. J'ai tenté de prendre quelques photos mais malheureusement aucune n'a fonctionnée.

Je n'ai jamais vu ce qui s'était réellement passé après. Il faut dire que la condensation masquait une bonne partie du pare-brise et qu'on ne voyait du dehors que ce que pouvaient éclairer nos phares. Je sais que nous commencions notre descente lors que le véhicule quitta soudainement la route à 90 degrés et, sans s'arrêter, poursuivit sa route dans une très forte inclinaison. Il s'agissait d'un raccourci, la route plus loin ayant été emporté par un glissement de terrain. C'était assez inquiétant, mais je suis bien heureux d'avoir fait cette section du trajet dans le noir après tout. Nous arrivons tard à Nyalam, d'architecture définitivement chinoise. Nous dormons au Snowland Hotel (Même pas de toilettes à l'intérieur de l'hôtel!) dans de minuscules chambres décorées pastels.

Un yak man


Retour à Kathmandu - 20 avril 2000

Un peu plus loin dans la gorge de la Friendship Highway, le décor y est vraiment impressionnant, même avec deux semaines de routes tibétaines dans le corps. Photo prise du site de Chris Sandvig
Le tout début de la Friendship Highway, un peu passé Nyalam,là où la gorge n'est pas encore très profonde. On peut voir une jeep sur la route, ce qui donne une petite idée de la dimension de la gorge. Photo prise du site de Ram Samudrala.
Nous laissons volontiers l'infecte village de Nyalam où deux tranchées en bétons de chaque coté de la rue principale font office de toilettes publiques. Juste avant cependant, nous faisons un dernier petit saut au magasin général de la place, tenu par une très jolie chinoise, où nous y trouvons enfin quelque chose qui nous est familier; des mini boîtes de croustilles Pringles! A 8$ américain pièce, ce n'est pas donné mais qu'à cela ne tienne, nous achetons toutes les six boîtes de l'étagère. Immédiatement après le village, nous débouchons sur une vallée très profonde, où la route semble être taillée à même la parois rocheuse. Pas de garde fou, et en plus c'est assez étroit pour que l'on prie de ne pas rencontrer d'autres véhicules venant en sens contraire. Nous ne sommes manifestement plus au Tibet ici. C'est chaud et humide, un vrai paradis tropical. Tout est vert, partout, ce qui contraste fortement avec les paysages rocailleux des derniers deux semaines... C'est la "Friendship Highway". Je la surnomme plutôt "Hell Highway". Heureusement je suis assis coté gauche, derrière le conducteur. De l'autre, du coté du gouffre, on ne voit que la face rocheuse, située à une centaine de mètres de nous, qui rempli toute la fenêtre. On n'en voit ni le fond, ni le sommet, à moins de glisser sa tête dehors de la fenêtre. Et même là, pour le fond je ne suis pas certain. La route quant à elle est pleine de trou et notre conducteur aime bien frôler le gouffre afin de les éviter. Bref, je suis mort de peur pendant plus de trois heures, surtout lorsqu'il faut croiser des camions et que notre chauffeur choisi le chemin passant le plus près du trou... Bref, je n'ai pas pensé un seul instant de photographier ce terrible endroit. Personne d'autre de notre équipe d'ailleurs, ce qui en dit long sur ce que nous avons vécus. L'infernale crevasse s'évase enfin et nous arrivons dans la ville de Zhangmu, littéralement suspendue sur plusieurs étages sur le flanc de la vallée. C'est la frontière chinoise. Zhangmu est une ville frontière chaotique, où putains, marchands et camions chargés de marchandises népalaises se côtoient. Après les villes tranquilles du Tibet, on y retrouve un peu de l'effervescence de Kathmandu. Nous franchissons la frontière sans problèmes, puis ensuite descendons le no man's land entre le Népal et la chine à pied jusqu'au pont de Khodari. Là, un simple soldat, assis devant une vieille table, estampille nos passeports et s'en est fini de la Chine...

Un autobus nous conduit lentement à Kathmandu, où nous attend notre hôtel, une douche ainsi qu'une bonne bouffe au Fire & Ice. Nous nous gavons de pizza minces et de vins italiens. Notre serveur Mr. Bean...




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